La crise politique en région bruxelloise est encore une fois au centre de l’actualité. Nous republions ici une carte blanche diffusée hier dans Le Soir que nous avons signée et qui appelle à une mobilisation populaire contre l’austérité et la confiscation des résultats du 9 juin 2024 par la droite.
La crise qui paralyse la région bruxelloise depuis plus de 16 mois est une crise politique. Le scrutin du 9 juin 2024 a donné une courte majorité à la gauche institutionnelle à Bruxelles, mais la droite tente par tous les moyens de forcer les négociations pour imposer un programme austéritaire à la capitale. En particulier, le bloc MR/Open VLD cherche à forcer la main au PS pour l’intégrer à un gouvernement qui se voudrait le prolongement de l’Arizona dans la Région, ce dont témoigne leur obstination à intégrer une N-VA quasi inexistante à Bruxelles (2 % dans la région, zéro député communal) dans le gouvernement. Pour justifier son jusqu’au-boutisme, la droite invoque systématiquement l’argument de la dette : vu l’état des finances bruxelloises, il n’y aurait pas d’alternative pour la région.
Un budget pour les gouverner tou·te·s
Le budget bruxellois est un casse-tête. En 2018, la dette de la RBC représentait 3,4 milliards d’euros. Depuis, deux chocs exogènes, la pandémie de covid et la crise énergétique due à la guerre en Ukraine, ont fait exploser les dépenses de la Région tout en impactant considérablement ses recettes.1
En 2024, les recettes totales représentaient 5,691 milliards tandis que les dépenses primaires représentaient 6,990 milliards d’euros, soit un déficit de 1,3 milliard d’euros. En parallèle, la dette consolidée2 de la région pour l’année 2024 était estimée à 14,5 milliards d’euros, avec une projection pour 2029 estimée à 22,162 milliards d’euros. On parle donc d’un ratio dette / recettes totales de 241 % pour l’année 2024 avec une perspective clairement négative au vu du taux de croissance de la dette consolidée (8,83 %).
Cette question du déficit budgétaire et du risque d’emballement sur la dette se trouve aujourd’hui au centre des négociations gouvernementales. Incapables de s’entendre sur la mise en place d’une coalition un tant soit peu représentative des résultats des élections de 2024, plusieurs représentant·es des partis engagés dans les discussions (Bouchez, De Gucht) voient le budget comme une priorité pour débloquer la situation politique. Sauf que là aussi, les stratégies pertinentes font défaut.
Financer un programme de rupture anti-néolibérale
Malgré les discours catastrophistes de la droite, sur base du premier trimestre 20253, la RBC parvient toujours à se financer sur les marchés financiers avec des financements très diversifiés, avec régularité4 et ce, malgré une diminution de sa note, passée de A+ à AA- selon l’agence de notation S&P5. En outre, les mesures mises en avant pour équilibrer le budget concernent exclusivement les dépenses. C’est à nouveau un grand mythe néolibéral. Réaliser des coupes budgétaires ne permet pas de retrouver de la stabilité. En diminuant son engagement financier, et donc en imposant des cures d’austérité, le gouvernement de la RBC fait reposer une plus grande charge financière sur les individus les plus vulnérables. En opposition à ce dogme, une alternative est possible : il faut augmenter les recettes, avec des mesures ciblées vers les plus hauts revenus, les entreprises et les multipropriétaires.
Une multitude de mesures pourraient être prises dans ce sens : par exemple la mise en place d’une hausse progressive des centimes additionnels de l’impôt sur les personnes physiques6 avec l’objectif de récupérer une somme importante sur les revenus les plus élevés. Une autre pourrait être de reprendre le contrôle sur le marché du logement en récupérant les propriétés laissées à l’abandon par des multipropriétaires obnubilés par la spéculation, ou encore en augmentant le précompte mobilier pour ces mêmes multipropriétaires qui profitent de la pénurie de logement pour s’enrichir. Pourquoi pas également regarder du côté des droits de succession. La logique qui sous-tend ces mesures est la même : reprendre ce qu’ils nous ont volé, après un demi-siècle de néolibéralisme, qui a vu les classes dominantes s’enrichir en pillant toujours plus la classe travailleuse et les plus vulnérables.
En complément de ces propositions, il reste nécessaire de mettre en place un comité d’audit citoyen. Car pour agir, il nous faut comprendre les origines et les destinations des financements de la RBC, identifier les dépenses légitimes pour la population, et s’opposer catégoriquement aux lois des marchés financiers qui imposent une marche à suivre sur fond de chantage aux taux d’intérêt. Autant de sujets que nous devons imposer à l’agenda.
Pour sortir de la crise, mobilisation générale !
De telles propositions provoqueraient inéluctablement les cris d’orfraie de la droite, et l’ire des lobbies financiers et bancaires. En parallèle, la gauche institutionnelle a déjà témoigné de son impuissance à sortir la Région bruxelloise de cette crise d’ampleur. Les négociations pour une majorité progressiste, entamées au printemps 2025 sous la pression du mouvement social7, ont été rapidement enterrées par Vooruit, sans provoquer d’émoi chez les partenaires autour de la table. Dans ces conditions, il apparaît clair que la clef pour sortir de l’impasse réside dans la mobilisation des Bruxellois·es elles et eux-mêmes. Face au projet autoritaire des droites, c’est la dynamique des syndicats, des mouvements féministe, écologiste, antiraciste, des collectifs de quartiers, du secteur associatif miné par cinquante ans de néolibéralisme, qui fera la différence. Seule une telle mobilisation coordonnée pourrait identifier les mesures d’urgence pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux de la population bruxelloise, et construire le rapport de force face aux lobbies bancaires et immobiliers d’un côté, et à l’Arizona de l’autre. Pour vaincre les droites, la lutte défensive ne sera pas suffisante : nous avons besoin que les mouvements sociaux prennent en main les questions politiques, et construisent une véritable alternative sociale, écologique et démocratique.
Signataires : José Angeli, Président du MOC Bruxelles ; Joëlle Baumerder, citoyenne, UPJB ; Bernard Boccara, photographe ; Matthieu Bordenave, PhD candidat en économie politique à l’université de Pise ; Eléonore Merza Bronstein, Secrétaire fédérale du MOC Bruxelles ; Simon de Brouwer, SeTIS Bruxelles ; Manuela Bruyndonckx, pensionnée de l’ULB ; Michel Caraël, professeur émérite de l’ULB ; Valter Cortese, retraité de l’ULB ; Céline Curvers, artiste ; Aziz Dahmane, Président CRB CSC (comité régional de Bruxelles) ; Benoît Dassy, secrétaire régional bruxellois de la CSC bruxelloise ; Lieven De Cauter, philosophe, prof. em. KU Leuven, faculté d’architecture ; Sarah De Laet, géographe, militante pour le droit au logement ; Jo De Leeuw, syndikale militante ACOD onderwijs ABVV, ACOD Onderwijs ; Rémi Dekoninck, citoyen ; Muriel Di Martinelli Secrétaire Fédérale de la CGSP-ACOD ALR-LRB BRU ; Olivier Dubin, Equipes populaires Bruxelles ; Pierre Galand, président du Forum Nord Sud ; Jean-François Gava, chercheur en philosophie économique ; Michel Genet, économiste ; Marie Gotalle, personnel soignant ; Jean-Claude Grégoire, prof. honoraire de l’ULB ; Aline Jacques & Eduardo Carnevale, coordination générale du Collectif Alpha ; Francoise Kemajou, administratrice déléguée de Pour la solidarité ; Catherine Kestelyn, BelRefugees ; Guillaume Kidula, administrateur de l’asbl Communa ; Adrien Lenoble, Mission Locale pour l’emploi De Saint-Gilles ; Cédric Leterme (chargé d’étude au GRESEA asbl) ; Selma Lisein, Atelier des Droits Sociaux ; Gabriel Maissin, économiste ; Carla Nagels, professeure à l’Université libre de Bruxelles CGSP enseignement-recherche ; Julien Pieret, professeur à l’Université libre de Bruxelles ; Emmanuelle Rabouin, coordinatrice de l’Union des locataires marollienne asbl ; Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat/Brussel Bond voor het Recht op Wonen / RBDH / BBRoW ; Anne Rayet, avocate ; July Robert, autrice et traductrice ; Michel Roland, médecin ; RL, membre de l’Union des Locataires de Saint-Gilles ; Nordine Saidi, membre de Bruxelles Panthères ; Daniel Soil, romancier, écrivain public ; Andreas Stathopoulos, Forest à gauche ; Marcelle Stroobants, professeure retraitée de l’ULB ; Eric Toussaint, porte-parole international du CADTM ; Mélodie Vandelook, travailleuse dans l’éducation permanente ; Martin Vander Elst, docteur en anthropologie, UCLouvain en colère ; Philipe Vansnick, secrétaire fédéral CSC Bruxelles ; Denis Verstraeten, militant à la Gauche anticapitaliste ; Pascale Vielle, professeure ; Carmelo Virone, écrivain, militant au collectif DK Saint-Gilles.
- Cette augmentation de dépenses et cette diminution de recettes dues aux crises citées doivent aussi être remises dans un contexte général d’austérité imposé par les choix politiques des gouvernements précédents. Incapable d’assumer une politique portée sur des investissements stratégiques dans les secteurs de l’énergie ou la santé, la Belgique est aujourd’hui l’un des pays les plus dépendants des importations d’énergies brutes extérieures en Europe tandis que ses capacités d’accueil en milieux hospitaliers sont impactées par un double danger : une diminution drastique du nombre de lits disponibles ainsi que des conditions de travail extrêmement pénibles pour les membres du personnel. ↩︎
- La dette brute consolidée, ou dette Maastricht, constitue la consolidation de la dette propre et de la dette indirecte de la Région. ↩︎
- Rapport annuel 2024 de l’Agence de la dette de la Région de Bruxelles-Capitale. ↩︎
- Rapport annuel 2024 de l’Agence de la dette de la Région de Bruxelles-Capitale. ↩︎
- « Standard & Poor’s dégrade à nouveau la note de Bruxelles », L’Echo(13/06/2025). ↩︎
- Les centimes additionnels sont des taxes locales perçues en complément d’un impôt de base. Le taux s’ajoute au montant de la taxe principale, ici l’impôt sur les personnes physiques perçu par le fédéral. Une hausse progressive de ces centimes permettrait d’augmenter les recettes de la région en ciblant les revenus les plus élevés. ↩︎
- Notamment « l’appel du 1er mai » pour une alliance progressiste, signé par près d’une centaine de personnalités académiques, syndicales et associatives. ↩︎

